PARIS – Le réalisateur français Christophe Honoré, mieux connu pour des films tels que “Love Songs” et “Sorry Angel”, a réalisé un travail exceptionnel ces dernières années – et le public international l’a manqué. La raison? Cela se passe sur les scènes de théâtre de son pays d’origine.
À partir de “Les idoles», une pièce dédiée à une série d’artistes français morts au plus fort de la crise du sida, à « La Chemin de Guermantes», son adaptation de Proust pour la Comédie-Française, le récit d’Honoré sur scène a une sorte d’immédiateté tragi-comique immédiatement reconnaissable. Sa dernière production, “Le Ciel de Nantes” (“Le Ciel de Nantes”), applique cette sensibilité à la propre famille d’Honoré. Le voyage qui en résulte, vers ses racines ouvrières dans la région bretonne du nord de la France, est chargé, mais d’une astuce poignante.
Le point de départ de la pièce, jusqu’au 3 avril à l’Odéon – Théâtre de l’Europe à Paris, est un film avorté. Honoré voulait depuis longtemps raconter l’histoire de sa grand-mère Odette et de ses 10 enfants, dont huit ont été engendrés par un Espagnol violent, Puig. Honoré est allé jusqu’à caster des acteurs et faire des tests d’écran; à un moment donné, des vidéos de ces tests sont projetées sur un canevas dans “Le Ciel de Nantes”. Pourtant, le projet n’a jamais abouti. Au lieu de cela, c’est devenu une pièce sur la nature collante de l’autobiographie.
Honoré a une doublure dans “Le Ciel de Nantes” : un jeune acteur, Youssouf Abi-Ayad, qui se présente comme le réalisateur en première ligne. La pièce se déroule dans une salle de cinéma vétuste, fidèlement recréée sur la scène de l’Odéon, ses fauteuils rouges face au public. Autour d’Abi-Ayad, six proches d’Honoré — Odette et Puig ; sa mère, Marie-Dominique; et trois de ses nombreux frères et sœurs – se sont réunis pour l’entendre parler de leur histoire familiale et du film qu’il est (soi-disant) en train de faire.
Le style de mise en scène d’Honoré est suffisamment ludique pour que cette méta-réflexion sur soi n’alourdisse pas le spectacle. Il ne cherche pas à recréer les choses telles qu’elles auraient pu se passer : Au lieu de cela, “Le Ciel de Nantes”, comme “Les Idoles”, ramène ses personnages d’entre les morts et invente entre eux de nouvelles conversations informelles. (Ils sont pleinement conscients de leur disparition mais ne semblent pas déconcertés.) Régulièrement, les acteurs utilisent des microphones sur des supports pour livrer des monologues pensifs, ou une chanson, au public, uniquement pour que d’autres interviennent et les entraînent dans des plaisanteries d’apparence spontanée.
Et Abi-Ayad, comme Honoré, est interrompu plus que quiconque. De manière fascinante, la pièce permet aux autres personnages de ne pas être d’accord avec la version raffinée et prête à l’écran de leur vie qu’il tente de raconter au début. Son oncle grossier Roger s’oppose à une description poétique de lui contemplant des coccinelles sur la pierre tombale de son père, disant avec indignation : « Je ne suis pas gay ! Peu de temps après, Odette – dont l’âge est superbement transmis par la beaucoup plus jeune Marlène Saldana – lui propose de prendre en charge son mariage avec Puig. Quand Abi-Ayad corrige un mot qu’elle utilise, elle le réprimande pour avoir suggéré qu’elle ne parle pas “assez bien”.
L’effet est celui d’un contraste dynamique : comme dans ses autres pièces, il permet à Honoré de concilier les pulsions — son penchant pour la complaisance littéraire d’une part ; son amour de la fantaisie et de la surprise de l’autre – que les critiques de cinéma ont parfois trouvé contradictoires. Mais le va-et-vient entre le réalisateur et ses personnages indisciplinés sert un autre objectif dans « Le Ciel de Nantes » : il met en lumière à quel point il peut être difficile de raconter les histoires d’un monde que l’on a laissé derrière lui.
Le traumatisme est profond tout au long de la pièce, de la violence contre les femmes au suicide, en passant par les souvenirs de la guerre de la France en Algérie. La vie de Claudie, la tante d’Honoré, est particulièrement tragique et interprétée avec sensibilité par Chiara Mastroianni (collaboratrice de longue date d’Honoré, qui y fait ses débuts sur scène). Honoré ne craint pas le racisme et l’homophobie occasionnels de certains personnages, mais il montre aussi ce qui leur a donné de la joie, comme leur attachement féroce et relatable à l’équipe de football de Nantes.
“Le ciel de Nantes” s’ajoute à une récente vague d’histoires en France sur les séquelles complexes de la mobilité sociale, menées par des écrivains comme Édouard Louis et Didier Eribon. Dans le rôle d’Honoré – le petit-fils gay et mobile ascendant qui a déménagé à Paris – Abi-Ayad a une silhouette douloureuse et mélancolique. On le voit souvent fumer à l’écart pendant les querelles de famille, à la fois détachés mais par intermittence ramenés au bercail. « Je m’en veux d’avoir changé », dit-il aux autres en admettant qu’il n’a pas pu terminer son film. L’attention qu’il porte aux personnages bourgeois tout au long de sa carrière à l’écran n’est pas une coïncidence, dit Honoré à travers Abi-Ayad : “Je ne peux que vous trahir”. Sans colère, son oncle Jacques lui répond : « Tu as honte de nous. Nous ne sommes pas assez chics pour mettre dans vos films.
Honoré permet à sa mère, Marie-Dominique, le seul membre de la famille encore en vie, d’avoir le dernier mot. Son rôle est inversé dans “Le Ciel de Nantes” et joué affectueusement par le propre frère d’Honoré, Julien Honoré.
À la toute fin, cependant, la vraie Marie-Dominique apparaît dans un court clip vidéo, et révèle son malaise face au récit d’histoires familiales. « Ils sont pénibles », dit-elle de ses deux fils en riant. Ici, et ailleurs, “Le Ciel de Nantes” capture l’épineuse réalité de l’autobiographie – et son déchirement aussi.
Il en va de même pour une autre nouvelle création parisienne, « La Tendresse » de Julie Berès, au Théâtre Gérard Philipe, dans la banlieue de Saint-Denis. Avec un casting de huit jeunes, Berès explore la masculinité à l’ère #MeToo, à travers un mélange d’histoires vraies et de fiction. Sur scène, les divers membres de la distribution semblent s’inspirer de leur vie, mais “Tenderness” (“La Tendresse”) était principalement basée sur la recherche : avec ses co-scénaristes, Kevin Keiss et Lisa Guez, avec l’aide supplémentaire d’Alice Zeniter, Berès a interrogé une cinquantaine de jeunes hommes sur leur rapport aux normes masculines.
Le résultat éclaire la réalité des expériences des hommes sans obliger les acteurs à partager leurs propres histoires intimes, comme le font parfois d’autres projets de théâtre. Avec l’aide de la chorégraphe Jessica Noita, Berès accorde également le mouvement au texte, et de nombreux acteurs sont des danseurs accomplis. Bboy Junior (Junior Bosila Banya), un étonnant danseur de pause au ralenti, tient des poiriers d’apparence impossible pendant qu’il parle, tandis que Natan Bouzy, formé au ballet, raconte une dépendance juvénile à la pornographie en ligne alors qu’il est sur pointe.
Il y a aussi des danses de groupe mâcheuses de décors, qui libèrent une énergie extraordinaire, mais comme “Le ciel de Nantes”, “Tendresse” est plus forte lorsqu’elle reconnaît les contradictions et la complexité de ses personnages. Les deux productions parlent de réalités plus larges de la société française, et tout comme les meilleurs films d’Honoré, elles méritent d’être vues largement.
Le Ciel de Nantes. Réalisé par Christophe Honoré. Odéon – Théâtre de l’Europe, through April 3.
La Tendresse. Réalisé par Julie Berès. Théâtre Gérard Philipe, through April 1.
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